La face changeante du glacier Peyto
Est-ce que nos enfants pourront skier la traversée de Wapta? Ça n'en a pas l'air.
Quelque part en 1996, j'ai rencontré le glacier Peyto. J'étais alors un jeune homme qui guidait ses amis le long de la classique traversée de Wapta. Après un lent commencement et une longue journée, nous avons atteint la petite station de recherche au-dessus du glacier, pendant que les vents reprenaient et que la neige tombait. Jeune et invincible, je voulais continuer jusqu'au refuge de Peter et Catharine Whyte (Peyto). Mes amis avaient moins confiance en mes habiletés dans ce voile blanc. Rachel (ma copine alors, mon épouse maintenant) réalisa que le grenier était ouvert et qu'il y avait assez de place pour y allonger quatre personnes. Nous passâmes la nuit dans ce placard à balais. Durant notre approche du glacier Peyto le lendemain, nous pouvions voir qu'il couvrait le fond de la vallée. Aucune place pour un lac dans ce paysage.
Il faudrait du temps pour que je skie de nouveau sur le glacier, mais quand je suis devenu guide j'ai dirigé des groupes, assez souvent, du refuge Bow au refuge Peyto. Une fois, comme ça arrive souvent sur la Wapta, la météo a été mauvaise au refuge Peyto, même si je devais continuer de divertir le groupe. Nous avons décidé de creuser des abris contre la neige dans les rouleaux de vent le long du bord du glacier. Pendant que je pelletais plus profondément dans le glacier, un trou noir a été découvert soudain. Une excavation plus poussée a révélé une grotte de glace. Nous nous sommes pris la main pour descendre dans l'obscurité. La grotte de glace s'étendait dans le glacier sur plusieurs centaines de mètres avant qu'elle soit trop tordue pour que l'on continue.
Les grottes de glace se forment avec de l'eau de fonte en été qui forme un écoulement souterrain sous le glacier. Elles sont splendides, mais elles vident également le glacier de l'intérieur. La longueur de cette grotte de glacier devait mesurer plusieurs kilomètres pour atteindre la pointe du glacier Peyto. Après avoir consulté plusieurs guides, il a paru que la grotte devait avoir au moins trente ans. J'ai fait une expédition avec ma famille une fois, pour qu'elle la voie aussi.
Ma première expédition au glacier Peyto datait de 1996, mais c'est en 2010 que je suis revenu y skier directement. Je dirigeais un groupe de skieurs à partir du refuge et la moraine médiane au centre gauche du glacier facilitait la navigation dans l'éclairage faible. Pendant notre descente, la visibilité s'améliorait mais mes sens se sont confus et étourdis. Je savais où j'étais, mais l'emplacement s'était transformé. Il a fallu du temps pour comprendre que c'était dû à ma référence verticale. À cause de la récession glaciaire, nous étions plus loin dans la vallée que ce qu'indiquait ma mémoire ou les cartes. J'aurais dû me trouver sous une centaine de mètres de glace.
Ma famille m'a rejoint encore en automne 2021, en randonnée pour évaluer l'état du glacier. La rumeur disait que le glacier n'était plus navigable à pied. À notre arrivée, le glacier de vallée avait essentiellement disparu, remplacé par un lac et une masse d'icebergs qui s'étaient récemment détachés du glacier en déclin. Ce n'était pas le recul du glacier dû à la fonte de surface qui nous a étonnés, mais les trous à l'intérieur de celui-ci. Des quantités massives de glace avaient fondu et s'étaient écoulées de sous la surface du glacier qui s'effondrait sur lui-même. Une grotte de glace de plus de dix mètres de diamètre béait à la base du glacier. Derrière elle, de l'eau libre et une vaste dépression due à de la glace de surface non soutenue.
Quand je suis retourné avec mon fils en automne 2022, la dépression et la grotte de glace s'étaient effondrées. L'accès habituel en été a maintenant disparu. Il peut être possible de monter la face sud du glacier, mais cela demandera de traverser le lac ou le canal de sortie tôt ou tard. L'accès hivernal restera viable à court terme, mais avec le recul de la glace, l'émergence de bandes de falaise pourra en bloquer l'accès dans le futur. Il n'y aura pas de glacier que mon fils pourra présenter à ses enfants.
Outre les occasions récréatives ou esthétiques, est-ce qu'il importe vraiment que les glaciers disparaissent? Cette source d'eau très mineure qui s'écoule le long de nos montagnes et rivières. En termes géologiques les ères glaciaires ou de glaciation sont relativement rares dans l'histoire de la Terre. Quand il y a des glaciations, la glace est dans un constant mouvement d'avancée et de recul. Il y a quelque 6 000 ans au cours de ce qu'on appelle optimum climatique de l'Holocène, la plupart des glaciers et des calottes glaciaires de la planète étaient plus petits qu'aujourd'hui. Durant la période cryogénienne (d'il y a 635 à 720 millions d'années) on suppose couramment que presque toute la terre était gelée, avec un possible ruban de glace pâteuse dans les océans de l'équateur. Quand nous parlons du climat, la seule constante est son changement. Et telle est la clé : le changement est normal, mais son rythme actuel ne l'est pas. Les températures augmentent à un taux beaucoup plus rapide que ce que nous pensons que la Terre a connu par le passé.
Comme je l'ai dit, les glaciers fournissent un pourcentage assez minime de l'eau qui s'écoule de nos montagnes, mais cette eau se libère durant les jours les plus chauds de l'été et l'automne. Les glaciers et les champs de glace servent de réservoirs qui amortissent les sécheresses et permettent aux rivières de continuer de couler dans les vallées et les prairies quand il n'y a pas de pluie ou de fonte de neige. Les villes et les terres agricoles situées en aval dépendent de ce flux pour survivre aux vagues de chaleur. Malheureusement, ces réserves glaciaires s'assèchent à mesure que la fréquence des vagues de chaleur augmente.
En 2005, ma femme Rachel a produit un documentaire observant le recul des glaciers et la rareté de l'eau, présenté à six festivals et diffusé à la CBC. Dix-sept ans plus tard, la seule erreur dans cette œuvre était son rapport au temps : les conséquences adviennent plus tôt que prévu. Rachel a mis son documentaire en ligne, disponible sur Youtube.
Quand les gaz à effet de serre sont libérés dans l'atmosphère, la température de la planète n'augmente pas instantanément. Comme lorsqu'on dépose un contenant rempli d'eau froide sur un brûleur chaud, l'eau ne bout pas sur le coup, il y a un délai. Le délai des gaz à effet de serre serait réputé être d'environ dix ans. La température qui fait fondre nos glaciers résulterait des émissions que nous aurions produites il y a 12 ans. Même si nous pouvions demain, par magie, cesser d'émettre du dioxyde de carbone et du méthane dans l'atmosphère, il faudrait attendre 2032 avant de constater l'impact qu'ont eu ces émissions dans le réchauffement de la planète.
Sur le court terme, il nous faut sortir et apprécier nos glaciers, car c'est une offre à durée limitée.